Si Christophe Marga n’aime pas qu’on l’appelle artiste, ni artisan d’art, il se reconnaît volontiers comme artiste singulier. Sans avoir jamais étudié dans une école d’art, il possède le goût, le talent et l’inventivité surtout, la grande liberté des vrais créateurs. Toutes les étapes de sa vie bien remplie ont manifesté son désir d’expérimenter des formes nouvelles et de faire advenir la beauté.
Enfant, il se passionne pour les ouvrages de dames de sa grand-mère angevine, dressant le point de croix au coton perlé sur d’immenses canevas. Plus tard, le voici qui copie les héros de ses fanzines, les dessins de Serre ou du Canard enchaîné. Jeune homme, il se met à la machine à coudre pour assembler les « saumons » des voiles de parapente dont il se plaît à inventer sans cesse de nouveaux modèles. A seize ans, hésitant entre mille métiers, il se verrait bien cuisinier car il n’aime rien tant que de décorer les plats concoctés par ses parents, mais il délaissera le concours de l’Ecole hôtelière de la rue Médéric à Paris pour l’Ecole d’apprentissage des Compagnons de Pantin où on l’initie à l’art du thermicien.
Et c’est la découverte de l’acier, du cuivre, de la fonte. Christophe a dix-sept ans, et très vite, car il est doué, il se met à manipuler l’arc et l’autogène avec autant de dextérité que naguère l’aiguille et la machine à coudre. Bientôt soudure et brasure n’ont plus de secrets pour lui si bien qu’il passera son CAP en un an et deviendra chef d’équipe à moins de vingt ans. On lui doit toute la fontainerie de la place de l’Hôtel de Ville à Paris, avec ses plus de trente pompes ! Deux ans plus tard, devenu le plus jeune conducteur de travaux d’Alsthom, il conduit de « vieux briscards » à construire les chaufferies de grands hôpitaux de France.
Son intelligence prospective lui fait rapidement gravir les échelons. Il devient chargé d’affaires chez Alsthom, mais s’ennuie mortellement. Le travail manuel lui manque, le combat avec le métal aussi. Plusieurs postes à haute responsabilité se succèdent, mais, pour prendre le large, Christophe s’investit totalement dans un club de parapente, les Corbacks, qu’il crée avec une bande d’anciens parachutistes passionnés, voir plus… Là-haut, entre les nuages et les cimes enneigées, il retrouve l’inspiration.
Mais Christophe Marga n’est pas un doux rêveur. C’est un homme de visions, de projets et de réalisations. Il aime se battre avec la matière, lui donner forme, quitte à y laisser une partie de sa chair. Il lui faut huit ans pour faire de la quasi ruine qu’était devenue la demeure du professeur Grancher, le médecin d’Edmond Rostand à Cambo-les-Bains, un lieu d’accueil élégant et chaleureux.
Mais s’il a toute la générosité pour le faire, Christophe n’a pas l’âme d’un hôtelier. Ce qui l’anime, c’est de dessiner des espaces chimériques et de tout mettre en œuvre pour leur donner corps. En 2012 commence la superbe aventure de l’arbre métallique et des « nids d’hôtes ». Christophe s’attèle jour après jour à ériger une œuvre digne de Jules Verne, haute de douze mètres, faite de 17 tonnes d’acier où viennent se nicher trois nichoirs douillets ouverts au public en mai 2014.
Depuis, dans son antre souterrain digne d’un Vulcain des temps modernes, il ne cesse de dessiner et de sculpter le fruit de ses constructions imaginaires. Il chauffe et tord des baguettes d’acier, les ployant à sa volonté. Tel le potier dominant la terre sur le tour, il maîtrise le feu et le métal pour en extraire des plantes et des créatures de fantaisie, toutes éclairées par le verre et la lumière.
Avec le temps, au plaisir des yeux s’est ajoutée la dimension symbolique et les jardins de métal se sont mis à côtoyer des ensembles de plus en plus complexes où l’humain sort enfin de terre (Jeux de balles) pour se dresser (Rebond) vers les plus hautes aspirations (Petit Prince et Rostand). Désormais, l’inspiration toujours vive de Christophe Marga explore des voies nouvelles où la question de l’enracinement de l’homme dans l’univers est sans cesse repensée (Le bonheur et Notre terre – en chantier).
Comme le personnage central du Bonheur, l’artiste saisit le monde à bras le corps, l’embrasse et nous invite à le faire tourner vers ce qu’il recèle de plus beau, de plus noble. La balle de métal ne s’englue pas dans la matière, écrasée par la délectation morose, mais rebondit toujours vers la lumière : cette flèche décochée nous invite à la joie de l’immanence – celle de l’homme qui joue ou de la mère qui allaite- aussi bien qu’à la ferveur des escalades sacrées, de sommets de roche ou d’esprit.
Christophe Marga a enfin laissé l’artiste se déployer en lui, et trouver son chemin propre, original s’il en est. Il y a en lui une âme de forgeron africain qui danse avec les esprits de la terre et du feu. Sa patte associe le poli de l’acier, le chatoiement du verre et l’éclat de la lumière pour faire éclore des formes stylisées, à la fois raffinées et barbares, brutes et ciselées. Un art de Nibelungen passé au polissoir des émotions humaines.
Cathy CASIN |